Jay Mens : “Contre Israël, le génie diabolique de l’Iran a porté ses fruits”


Chercheur à la prestigieuse Harvard Kennedy School et expert au sein du think tank londonien Policy Exchange, Jay Mens est un spécialiste de l’histoire des relations internationales au Moyen-Orient. Il s’intéresse notamment à la façon dont la genèse des relations entre l’Iran et Israël pèse dans le conflit présent et à la politique des grandes puissances au Moyen-Orient depuis deux siècles. Sa fine connaissance de la région en fait un interlocuteur idéal pour mieux comprendre le conflit en cours entre Israël, le Hamas, le Hezbollah et, en sous-main, l’Iran. Selon lui, si Benyamin Netanyahou n’est pas dénué de machiavélisme, considérer ce conflit comme son obsession personnelle est aussi faux que superficiel. Selon lui, Israël fait face à une “menace existentielle” sur le plan géopolitique.

L’Express : En janvier dernier, dans les colonnes de L’Express, vous estimiez qu’”une guerre entre Israël et le Hezbollah sembl[ait] inévitable d’ici à la fin de l’année”. Votre prédiction est-elle en train de se réaliser ?

Jay Mens : Nous n’en sommes pas encore là. Mais je pense qu’il ne s’agit plus d’une “guerre froide”, expression que certains utilisent parfois pour décrire la relation entre les deux pays et qui reste empreinte d’une certaine assurance, parce que, de mémoire d’homme, nous nous souvenons que la guerre froide a été une période “heureuse”, où personne n’est mort dans une explosion thermonucléaire.

Certes, en termes géopolitiques, les deux pays n’ont pas de frontière commune, tout comme la Russie et les Etats-Unis. Il y a près de 1 000 kilomètres entre Téhéran et Jérusalem – plus que la distance qui sépare Istanbul et Rome. Le seul moyen de mener une guerre sur une telle distance est d’utiliser des missiles ou des avions. Ensuite, il n’y a pas entre eux d’objet immédiat de litige, pas de frontière, de ressources naturelles, de parcelle de terre que ces pays se disputeraient. En ce sens, il s’agit d’un conflit politique abstrait. Et puis, bien sûr, ils évitent tous deux, rationnellement, la confrontation directe, ou du moins c’est ce que nous pensions jusqu’à présent, sachant que, pour se détruire physiquement, les deux pays ne pourraient pas utiliser des moyens conventionnels, seulement l’arme nucléaire. Mais, précisément, si la situation se tend encore davantage, la destruction nucléaire est tout à fait possible. Israël n’acceptera pas d’être constamment visé par des missiles. C’est là que l’on entre dans l’aspect risqué de ce scénario, où il ne s’agit plus vraiment d’une guerre froide.

Quid de la dimension idéologique du conflit ?

Celle-ci est distincte de celle qui opposait les Etats-Unis à l’Union soviétique. S’il s’agissait d’un conflit entre deux systèmes, le communisme et le capitalisme, à aucun moment l’Union soviétique n’a appelé à la chute des Etats-Unis, et vice versa. Or, en Iran, la révolution islamique est tout à fait explicite sur son objectif, qui est non pas de “jeter les juifs à la mer”, une expression arabe des années 1960, mais de détruire l’Etat d’Israël. L’Iran conteste le fait qu’il y ait un Etat juif, que cet Etat soit lié aux Etats-Unis, qu’il soit occidental, libéral et démocratique, autant de caractéristiques politiques fondamentales profondément problématiques dans la vision du monde de la République islamique. Israël, c’est le “petit Satan”, ancre dans la région du “grand Satan”, l’Amérique. Il représente un obstacle théorique et géopolitique à la progression de la révolution islamique. Israël a essayé, dans les années 1980, de trouver un moyen de vivre avec l’Iran, en s’appuyant sur leur opposition commune au nationalisme arabe. Cela n’a pas porté ses fruits et la situation n’a fait qu’empirer, jusqu’à aujourd’hui. Depuis la chute de Saddam Hussein, l’Etat hébreu est le seul pays du Moyen-Orient à vouloir affronter l’Iran.

La “guerre froide”, qui n’en était pas parfaitement une, a donc pris fin avec les frappes du 14 avril, qui ont révélé la faille fondamentale de l’analogie. Une fois ce premier pas franchi, il est très difficile de voir comment cela pourrait ne pas continuer. Une norme a été brisée, et personne, même en Israël, ne s’y attendait.

Après l’attaque de drones et de missiles iraniens menée le 14 avril contre Israël, ce dernier vient de riposter dans la région d’Ispahan. L’Iran semble minimiser l’incident et a indiqué ne pas avoir l’intention de riposter. Comment interprétez-vous la situation ?

La réponse d’Israël a été très bien calibrée, et a indiqué que l’Etat hébreu était plus réticent à prendre des risques que l’Iran. Il me semble que cette fois-ci, le calibrage d’Israël a atteint son but. Mais cela ne compte pas vraiment. La prévisibilité de ce conflit, à laquelle nous nous sommes habitués au cours des vingt dernières années, a été rompue. L’Iran n’est plus “dissuadé”, tandis que les options stratégiques d’Israël sont désormais plus limitées qu’elles ne l’étaient avant le 14 avril, notamment en Syrie et au Liban.

En général, nous avons tendance à interpréter les événements en termes de “spirale d’escalade”. Cette interprétation n’est guère pertinente ici : la situation ne peut pas dégénérer en guerre, parce que la guerre a déjà commencé il y a longtemps et qu’il n’existe aucune perspective de paix. Ce qui compte, c’est le précédent, qui crée les paramètres du combat. Or l’Iran a créé un nouveau précédent et Israël n’a pas pu s’y opposer.

Quel est le rôle spécifique du Hezbollah dans ce conflit ? Est-il pertinent de considérer que le Hezbollah et l’Iran ont exactement les mêmes visées ?

L'”axe de la résistance” est constitué de mandataires, dont le Hezbollah. Il n’y a que les think tanks occidentaux pour estimer que l’Iran joue un rôle circonscrit dans les tensions et que sa relation avec le Hezbollah est ambiguë. Elle ne l’est pas. Sur les images régulièrement publiées des réunions présidées par Hassan Nasrallah [NDLR : le chef du Hezbollah], que voit-on ? Deux photos au mur, l’une de Khomeini, le père de la révolution islamique, l’autre, de Khamenei, le guide suprême. Il s’agit d’un engagement idéologique profond. Depuis sa création, en 1982, le Hezbollah est attaché à l’idée que le guide suprême est le représentant de l’”imam caché” et, par extension, de Dieu. Concrètement, plusieurs représentants iraniens – des Gardiens de la révolution islamique et un représentant politique – siègent au conseil central du djihad du Hezbollah, qui dirige les activités militaires et sécuritaires du groupe et a aussi une grande influence sur ses activités civiles. Et, bien sûr, le Hezbollah a son représentant à Téhéran.

Ceux qui relativisent la relation entre l’Iran et le Hezbollah le font parce qu’ils pensent que cela contribue positivement à la “désescalade”, pour employer un terme à la mode. Accordons-nous trop de crédit à l’Iran ? Je pense au contraire qu’on ne lui en accorde pas suffisamment, tant son génie diabolique s’est avéré productif. Ils ont réussi à mettre les Etats-Unis et Israël dans l’impasse, non pas grâce à leurs capacités militaires mais simplement grâce à leur jeu politique.

On touche ici à la faiblesse constante de l’Occident face aux organisations de guérilla et aux conflits de faible intensité. Nous avons toujours réussi à nous laisser enfermer dans le même piège, en nous révélant politiquement incapables d’affronter ces gens sur leur propre terrain. Pour les Américains, ce fut le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak. Pour la France, l’Algérie. Pour l’Israël, la guerre au Liban en 2006. Dans le cas des Etats-Unis, les limites proviennent souvent de la politique intérieure. C’est la connaissance de nos propres faiblesses internes qui rend les Iraniens si compétents. Il serait fascinant de remonter aux origines idéologiques de la pensée militaire iranienne. Je pense que si l’on remontait aux années 1960, pendant les années de gestation de la pensée islamiste iranienne, on trouverait probablement des influences marxistes et léninistes dans leur corpus de pensée. Les marxistes considèrent la guerre comme un projet politique, ce que l’on retrouve chez les partisans de la révolution islamique. Les démocraties libérales, elles, semblent plutôt appliquer le proverbe selon lequel, “pour qui dispose d’un marteau, tous les problèmes sont des clous”.

Comment l’opinion publique iranienne se positionne-t-elle aujourd’hui dans ce conflit ?

C’est difficile à dire, parce que l’on ne dispose pas de sondages fiables sur l’opinion en Iran. En outre, la diaspora iranienne, au cours des cinquante dernières années, est devenue une entité à part entière. Sa façon de parler le farsi, sa musique, sa culture est différente. Et, bien sûr, les échanges culturels entre elle et l’Iran ont considérablement diminué. C’est pourquoi, par exemple, une grande partie de ce que nous pouvons lire chez nous, sous la plume d’Iraniens ayant quitté leur pays, ne reflète pas nécessairement les sentiments existant à l’intérieur de l’Iran. L’incitation est forte, en Occident, de promouvoir un récit selon lequel l’Iran serait à l’aube d’une révolution, parce que, bien sûr, la diaspora le veut et que nous le voulons tous ici.

Nous devons donc limiter nos attentes. Et comprendre aussi que, les Iraniens étant exposés à une propagande constante, ils ont probablement une certaine sympathie latente envers la cause palestinienne. Je ne pense pas que chaque fois qu’un Iranien voit les scènes terribles de Gaza à la télévision, il lève les yeux au ciel et se plaint du guide suprême. De toute façon, je pense que l’opinion publique iranienne n’a pas beaucoup d’importance. Le taux de participation électorale est apathique. Toutes les décisions relatives à la politique étrangère sont prises par le Conseil suprême de sécurité nationale. D’autres organes de décisions sont tout aussi peu élus, et composés principalement de membres anciens ou actuels du corps des Gardiens de la révolution islamique. Et même si la situation économique du pays est difficile, entre l’inflation élevée et la volatilité de la monnaie, elle ne l’est pas assez pour justifier une réaction politique massive de la population.

La révolution islamique contient-elle une visée idéologique réaliste et attirante ? Il semblerait que la prédiction de Francis Fukuyama dans La Fin de l’Histoire selon laquelle aucun système idéologique ne serait capable de concurrencer le libéralisme après le déclin du marxisme, continue de se vérifier.

Le défaut de la thèse de Fukuyama est qu’elle ne tient pas compte de la décadence de l’Occident. Même si nous ne sommes pas réellement menacés par une révolution islamique, les questions posées par le libéralisme restent entières. D’abord, depuis le début des années 1700, les sociétés libérales se demandent si la liberté et la prospérité peuvent présenter un risque moral. Ensuite, elles sont fondées sur le principe selon lequel des gens peuvent vivre en harmonie tout en ayant des conceptions différentes du bien et du mal. En regard, les islamistes manifestent une très forte confiance dans leurs propres jugements moraux. C’est cette certitude qui est attrayante. Dans cette idéologie, on trouve une distinction limpide entre le bien et le mal appliquée à la politique. Or la gauche occidentale est tendanciellement plus portée à considérer les enjeux politiques en ces termes. D’où ce que l’on appelle l’”alliance rouge-verte”. Vous avez peut-être vu ce clip sur le réseau social X où l’on voit un groupe d’Américains, en Californie, assis dans une pièce et portant des masques, et un activiste iranien leur apprenant à dire en farsi “Mort à Israël ! Mort à l’Amérique !”… C’est complètement fou, mais c’est bien réel.

Quant à l’Iran, la révolution islamique, tout en ne menaçant pas directement l’Occident, a des chances de conserver son attrait et de durer, en motivant un grand nombre d’Iraniens. Ce sera le cas tant que n’émergera pas dans le pays une alternative politique claire, attrayante et réaliste. Or, pour l’instant, il n’existe pas d’opposition libérale sérieuse et crédible.

La révolution islamique vise-t-elle à convaincre l’ensemble du monde musulman ?

L’agrégation en un tout homogène de cet univers de 2 milliards de personnes est naïve et erronée. En outre, l’idéologie de la révolution islamique repose sur des prémisses complètement incohérentes pour le sunnite moyen et pas très cohérentes pour beaucoup de chiites. Même dans le chiisme imamite auquel elle appartient [NDLR : le groupe des chiites, majoritaire, qui croient en l’existence des 12 imams], elle a été considérée comme folle la première fois qu’elle a été émise. Ce n’est que lorsqu’elle s’est dotée de l’infrastructure d’un Etat qu’elle a pu trouver une légitimité. Le concept central du chiisme imamite est celui de l’”imam caché” – ou Mahdi –, qui disparaît en 874 à cause du risque d’assassinat et des péchés des musulmans. A cette époque, la légitimité politique vient de Dieu, ce qui sera la supposition par défaut de la politique jusqu’à la Révolution française. L’absence du Mahdi, qui est l’héritier du Prophète, provoque un vide de légitimité, ce qui pose la question de savoir quel sera le chef juste.

Pendant plus d’un millénaire, le monde chiite est resté calme. Le chiisme est devenu une affaire de droit et de jurisprudence plus que de vie politique à proprement parler, et la monarchie et le clergé ont réussi à faire bon ménage. Et puis, soudain, une grande révolte a brisé cette sorte de contrat implicite. Elle s’appuyait sur une formule entièrement nouvelle, créée presque entièrement par un seul homme, Khomeini. En interprétant Platon, Al-Farabi et d’autres philosophes, il est arrivé à l’idée qu’en l’absence d’un dirigeant désigné par Dieu il fallait faire appel à ceux qui connaissaient le mieux la loi divine. C’est ainsi qu’un groupe de juristes cléricaux a commencé à s’organiser comme opposition politique, avant de provoquer une révolution. L’objectif initial de la révolution islamique, pour ainsi dire, est de transformer le monde chiite de l’intérieur en y créant un monopole idéologique. D’où ce zèle révolutionnaire initial, qui va de pair avec la guerre.

Pour certains analystes, Israël, en attaquant une annexe consulaire de l’ambassade iranienne à Damas le 1ᵉʳ avril, serait responsable de la montée récente des tensions.

Les victimes de cette frappe étaient des commandants iraniens directement impliqués dans des opérations contre Israël. Peut-être planifiaient-ils quelque chose. Mais, n’étant pas juriste international, je ne peux pas me prononcer sur la légalité de cette frappe.

Ce qui est sûr, c’est que la Syrie est une menace sérieuse pour Israël. Depuis la guerre civile syrienne, l’Iran y a créé une base d’opérations, qui est à la fois un moyen de pression géopolitique sur Israël et un pont terrestre vers le Liban. La menace géographique que cette situation représente est très claire. De plus, la Syrie abrite aujourd’hui de nombreux Gardiens de la révolution. En avril 2023, le Shin Bet a démantelé une tentative à grande échelle de faire passer de la contrebande d’armes de l’Iran vers la Cisjordanie. C’est presque un événement hebdomadaire maintenant. On sait que l’un des grands projets de Qassem Soleimani avant qu’il soit tué [NDLR : général iranien, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique, tué par les Etats-Unis en 2020] était de créer un Hezbollah syrien, afin de reproduire l’incroyable succès du Hezbollah libanais en Syrie. Cette stratégie implique une ingénierie démographique, avec des conversions massives au chiisme et des déplacements de population. Le but est de faire monter la pression sur Israël. Et si vous avez deux et même trois Hezbollah – il existe aussi un Hezbollah irakien –, vous renforcez l'”axe de la résistance”. Pour toutes ces raisons, Israël ne peut pas se permettre de perdre sa liberté opérationnelle en Syrie.

Benyamin Netanyahou n’a-t-il pas intérêt à prolonger et étendre la guerre pour éviter les ennuis judiciaires ?

En Israël, le Premier ministre n’a pas le dernier mot sur tout. S’il décidait demain de bombarder les installations nucléaires iraniennes, il se heurterait probablement au veto du chef d’état-major. Nous savons aussi que, le 11 octobre 2023, Netanyahou a mis son veto à une frappe sur le Liban, souhaitée par l’ensemble de l’armée. Et, apparemment, pas plus tard que la semaine dernière, il a bloqué une frappe sur l’Iran après s’être entretenu avec le président Joe Biden. L’idée que Netanyahou serait une sorte de Frank Underwood, ce président cynique de la série House of Cards, prêt à déclencher des guerres mondiales pour rester au pouvoir, me semble ridicule. La gravité de la situation l’emporte sur les petites considérations politiques. Le Premier ministre israélien est peut-être un personnage machiavélique, mais considérer cette guerre comme “la guerre de Netanyahou”, comme certains voyaient celle du Vietnam comme la guerre “de Johnson” ou “de Nixon”, est une analyse fausse et superficielle. La vérité est qu’Israël fait face, sur le plan géopolitique, à une menace existentielle.

Téhéran, en favorisant l’émergence de plusieurs fronts de conflit, cherche-t-il à distraire Israël de Gaza ?

Il cherche surtout à submerger Israël. Selon Clausewitz [NDLR : dans De la guerre, traité majeur de stratégie militaire], la guerre est une question de décision. La victoire ou la défaite sont des décisions. Tout ce qui se passe entre le début et la fin d’une guerre, ce sont des décisions cohérentes. La forme la plus élevée de la stratégie consiste donc à pouvoir influencer les décisions de ses adversaires. C’est ce que l’on retrouve dans le concept de “zugzwang“, connu des joueurs d’échecs, qui consiste à forcer son adversaire à jouer un coup qui lui fera nécessairement perdre ou dégrader sa position, ou dans celui de “contrôle réflexif”, inventé par les Soviétiques. Ces tactiques permettent de vous distraire, de vous entraîner sur d’autres fronts, de vous séparer de vos alliés, de vous faire craindre une guerre nucléaire, et ainsi de provoquer une panique. Nous l’avons vu, bien sûr, avec la Russie en Ukraine. Cela revient souvent à proférer des menaces vides. Mais la crainte d’une escalade, surtout en cette année électorale aux Etats-Unis, est évidente.

Depuis les années 1950, l’absence de guerre sur deux fronts constitue un élément central de la doctrine militaire israélienne. C’est la raison pour laquelle Netanyahou n’a pas frappé le Liban en octobre. Or, à l’heure actuelle, Israël est confronté à de multiples fronts, qu’il le veuille ou non. Et en plus de tous les fronts directs, s’ajoute celui dont nous n’avons cessé de parler depuis le début, l’Iran, très gênant d’un point de vue stratégique, précisément parce qu’il s’agit d’une bataille à longue distance. Et alors qu’Israël est très petit, l’Iran est très grand et dispose d’une immense profondeur stratégique – c’est le 18ᵉ plus grand pays du monde. L’Iran peut être bombardé longtemps avant de battre en retraite, pas Israël.

Pour autant, l’Iran se garde bien d’aller jusqu’au bout, parce qu’il sait qu’une intervention totale octroierait à Israël une grande marge de manœuvre politique. Il sait aller jusqu’au point où les Américains peuvent encore retenir les Israéliens. Les Iraniens sont très sensibles à la politique américaine, bien plus qu’à la politique israélienne.

Que cherchent-ils à obtenir des Etats-Unis ?

L’Iran, en provoquant Israël, submerge le centre de prise de décision, aussi bien du côté américain qu’israélien. Ils savent que la stratégie américaine tient en trois mots : pas de guerre.

Est-ce une bonne stratégie ?

Les Etats-Unis auraient sans doute intérêt à démontrer à leurs autres partenaires dans la région leur capacité de défense et de dissuasion, car c’est la condition de la crédibilité de leurs alliances. Ils ne le font pas. C’est en partie à cause des élections à venir, qui poussent à vouloir maintenir les prix du pétrole à un niveau bas et à éviter tout engagement majeur de troupes. Dans l’ensemble, ils veulent simplement aider Israël à sortir de cette crise d’une manière ou d’une autre. C’est une motivation légitime. Alors, bien sûr, ce n’est pas du génie stratégique. Ce n’est pas Clausewitz qui est en charge, c’est seulement Jake Sullivan [NDLR : conseiller à la sécurité nationale américain].

Pensez-vous que Donald Trump agirait différemment s’il était au pouvoir?

L’exercice contrefactuel est toujours délicat. Est-ce que tout cela se serait produit sous Trump ? Le critère important ici me semble être celui de la prévisibilité. Les Etats-Unis sont en ce moment très prévisibles et, quand vous avez un adversaire aussi prévisible, vous pouvez tourner autour de lui. Trump, lui, ne l’était pas.




Source