. * .

Les jeunes font moins l’amour : comment s’en réjouir au nom de #MeToo ? Par Abnousse Shalmani


Il suffit d’une fois par semaine – même si trois ou quatre fois c’est mieux. Ce n’est rien, et pourtant. Les taux d’anticorps augmentent de 30 %, et l’inflammation dans le sang baisse, la sécrétion d’adrénaline agit sur le système cardio-vasculaire, augmente le taux de glucose dans le sang, la pression artérielle et le rythme cardiaque. Les effets anxiolytiques, antihypertenseurs et antalgiques sont prouvés. L’ocytocine, la dopamine et les endorphines sont à la fête, la tolérance à la douleur augmente, et les situations stressantes sont mieux gérées. Les conséquences cognitives positives sont pléthores : les hommes affichent un taux de réussite supérieur de 23 % (14 % pour les femmes) sur les tests de mémoire. On paraît de cinq à sept ans plus jeune. Une fois par semaine – même si trois à quatre fois c’est mieux. Ce n’est rien. Et pourtant, ce n’est que du sexe.

Et si l’écoanxiété, la déprime généralisée, l’agressivité en guise de bonjour et l’indifférence à l’autre n’étaient la conséquence que d’une chose, l’absence de vie sexuelle ? Les chiffres sont tombés, relayés par Libération– vous savez, ce quotidien qui brisait les entraves et qui se vautre dorénavant dans la moraline qui éteint la liberté et le désir. Délire. L’étude Ifop réalisée pour l’entreprise de sextoys Lelo nous apprend que les personnes déclarant avoir eu un rapport sexuel cette dernière année ne sont que 76 % (15 points de moins que dans une étude de 2006). Chez les 18-24 ans, 28 % n’ont connu aucune activité sexuelle (ils n’étaient que 5 % en 2006).

Le sexe sans consentement et sans désir n’est pas du sexe. C’est de la violence, du viol, qui relève du pénal, un crime. Le sexe n’est pas un lieu de domination, de soumission, de rapports de force dictés par la société qui impose une manière de faire l’amour. Le sexe relève de l’intime le plus obscur et le plus lumineux, le plus contradictoire et le plus révélateur. Comment peut-on se réjouir du sexe en berne de la jeunesse au nom de #MeToo ? Autrement dit, c’est parce que les femmes disent dorénavant “non” sans crainte et sans pression. Ou bien c’est générationnel : avant le sexe était tout, aujourd’hui c’est beurk.

Et il y a aussi la paresse. Libé appelle ça la dating fatigue. Pas faux. On a la flemme de tout. De lire, de s’épiler, de résoudre un problème mathématique, d’apprendre une poésie par cœur, de descendre acheter du lait, de faire l’amour. Pascal Bruckner a vu juste avec son Sacre des pantoufles, la pandémie n’a fait qu’accentuer une tendance de sociétés occidentales trop gâtées, trop confort, trop fatiguées de n’avoir qu’à tendre la main pour avoir. Et puis c’est vrai que c’est tellement moins dangereux émotionnellement, moins épuisant psychiquement de regarder des séries vivre pour nous. Libération avance timidement : “Plus délicat à évaluer mais également pointé, l’impact de certaines idéologies religieuses et politiques qui voudraient réserver ces choses de la vie aux seuls couples légitimes”, le tout sans écrire islamisme. L’équation est pourtant simple : l’Occident c’est décadence sexuelle, l’islamisme c’est pureté et respect.

Une chair devenue moribonde

Je n’achète pas. Il y a certes un peu de vrai dans toutes ces causes avancées avec l’assurance d’un prof de socio de Nanterre. Mais aussi : l’Occidental est un enfant roi, qui veut quand il veut, qui préfère les sex-toys au miroir de l’autre, le porno avec orgasme assuré à un corps qui est un mystère à résoudre.

Ne serait-ce pas surtout la conséquence d’un discours qui fait du sexe le domaine du grand méchant patriarcat qui bousille les femmes ? Au XIXe siècle, le discours bourgeois était simple : il faut couper le lien des femmes avec leur corps, les miroirs sont prohibés dans les salles de bains, les femmes se lavent habillées, il ne faut surtout pas faire jouir sa femme – le plaisir est réservé aux courtisanes et prostituées. Une femme qui jouit est une femme qui se libère. Discours repris mot pour mot par le néoféminisme, qui confond libération et soumission pour extraire les femmes de l’amour physique. Discours qui tue la possibilité de l’amour. La chair n’est plus seulement triste, elle est moribonde.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste




Source

1 2 3 4 5 6 7 8 12438 697 656 691 3525511   475252   490744   512519   500991